Trois récentes décisions ont jugé que le barème de plafonnement des indemnités de licenciement instauré par les Ordonnances réformant le droit du travail en septembre 2017 n’est pas conforme avec le droit international et refusent son application.
- Décision du Conseil de prud’hommes de Troyes du 13 décembre 2018
- Décision du Conseil de prud’hommes d’Amiens du 19 décembre 2018
- Décision du Conseil de prud’hommes de Lyon du 21 décembre 2018
Vers la fin du plafonnement ? Le point sur la situation.
AVANT LES ORDONNANCES MACRON :
Selon le système antérieur aux Ordonnances Macron, le montant de l’indemnité réparant le préjudice subi par un salarié victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse était fixée par le Conseil de prud’hommes, qui appréciait le préjudice subi au cas par cas.
Ainsi, l’indemnité n’était pas limitée dans son montant maximal, mais ne pouvait être inférieure à 6 mois de salaire pour les salariés qui avaient plus de 2 ans d’ancienneté et qui travaillaient dans des entreprises de plus de 11 salariés (ancien article L. 1235-3 du Code du travail).
LE BARÈME PRÉVU PAR LE NOUVEL ARTICLE L. 1235-3 DU CODE DU TRAVAIL :
Les Ordonnances du 22 septembre 2017 se donnant pour ambition de « sécuriser les relations de travail » a réformé du Code du travail en imposant désormais au Juge prud’homal un plafonnement des dommages et intérêts alloués au salarié licencié pour un motif sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi, pour tous les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017, le Conseil de prud’hommes peut, s’il estime que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, accorder au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux suivants en fonction de l’ancienneté du salarié :
Le barème est donc exclusivement déterminé en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et varie en fonction de la taille de la société employeur.
Une indemnisation plafonnée conduit à ne pas couvrir l’intégralité des préjudices subis et à laisser une infraction insuffisamment sanctionnée.
NOTRE AVIS SUR CE PLAFONNEMENT :
L’instauration de ce barème légal impératif porte atteinte aux principes de base de la responsabilité civile existant en droit français et en droit européen et porte atteinte à l’appréciation souveraine des Juges du fond.
Les Juges ne pourront plus fixer l’indemnité en fonction des particularismes de la situation qu’il sont en train d’apprécier et la gravité du préjudice subi par le salarié. Par exemple, le préjudice subi par un licenciement abusif d’une personne de plus de 50 ans, dans un région frappée par le chômage et la précarité n’est pas le même que celui concernant un actif de 30 ans dans une grande ville…
Or, la réparation intégrale du préjudice est un des grands principes du droit français : celui qui a causé un préjudice doit en assumer la réparation intégrale.
Ainsi, le salarié est bien moins traité que tout autre victime d’un comportement fautif.
Quid de la compatibilité de cette mesure avec nos principes fondamentaux ?
Depuis l’entrée en vigueur de cette réforme, nous contestons l’application du barème dans les dossiers plaidés devant le Conseil de prud’hommes, notamment en soutenant un argumentaire juridique démontrant que cette réforme n’est pas conforme à la Charte Européenne des Droits sociaux et la Convention n°158 de l’OIT.
Au niveau européen, des plafonnements ont déjà été condamnés : en Italie par la décision de la Cour constitutionnelle italienne du 26 septembre 2018 (arrêt n°194) ou encore la condamnation par le Comité européen des droits sociaux du dispositif de plafonnement des indemnités de licenciement injustifié finlandais (CEDS 8 septembre 2016, n°106/2014 Finnish Society of Social Rights c. Finlande).
PREMIÈRES DÉCISIONS D’INCONVENTIONALITÉ :
A la fin de l’année 2018, trois Conseils de prud’hommes ont jugé que l’article L. 1235-3 du Code du travail, introduisant le plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.
En conséquence, les Conseils jugent que ce barème viole la Charte Sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT.
Il reste à attendre que les Cours d’Appel puis la Cour de Cassation se saisissent de la question.
Affaire à suivre…
Retrouvez ici les jugements :
Jugement CPH TROYES du 13 décembre 2018